20.4.25

Terre des hommes

 

Je connais la solitude. Trois années de désert m’en ont bien enseigné le goût. On ne s’y effraie point d’une jeunesse qui s’use dans un paysage minéral, mais il y apparaît que, loin de soi, c’est le monde entier qui vieillit. Les arbres ont formé leurs fruits, les terres ont sorti leur blé, les femmes déjà sont belles.

L’écoulement du temps, d’ordinaire, n’est pas ressenti par les hommes. Ils vivent dans une paix provisoire.

Et cependant, nous avons aimé le désert.

S’il n’est d’abord que vide et que silence, c’est qu’il ne s’offre point aux amants d’un jour. L’homme qui s’est muré dans son cloître, et vit selon des règles qui nous sont inconnues, celui-là émerge véritablement dans des solitudes tibétaines, dans un éloignement où nul avion ne nous déposera jamais. Qu’allons-nous visiter sa cellule ! Elle est vide. L’empire de l’homme est intérieur. Ainsi le désert n’est point fait de sable, ni de Touareg, ni de Maures même armés d’un fusil...

Antoine de Saint-Exupéry
1900 - 1944